Ça y est : vous avez bien
suivi les recommandations de notre premier article et vous voilà donc propulsé
dans l’effrayant milieu professionnel du jeu de rôle. Vous êtes à présent
auteur – prêt à louer ou même vendre votre talent à des éditeurs avides de
publier vos œuvres. Mais… mais… comment savoir si les sommes proposées sont
justes ? Comment savoir si l’on vous paie à votre (immense) valeur ?
Don’t panic ! Nous avons pensé à vous en élaborant ce petit
guide vous permettant de vous y retrouver. Attention toutefois : il ne
s’agit là que de moyennes et de fourchettes de tarifs pratiqués par la grosse
majorité des éditeurs. Il est possible de sortir de ce spectre de prix – dans
un sens ou dans l’autre – mais nous y reviendrons.
N.B. : Cet article
concerne les auteurs ; pour les illustrateurs nous en feront paraître un
spécifique très prochainement.
Prix des textes
La pige
Notre premier article explique
bien ce qu’est une pige et ce à quoi elle vous engage et engage l’éditeur. Au
besoin, relisez-le pour vous rafraîchir la mémoire.
Concernant une pige, vous êtes
payés une bonne fois pour toute une somme fixe et celle-ci dépend en général du
nombre de signes que comporte votre texte. Pour rappel : un signe est un
caractère (lettres, ponctuations, chiffres… et les espaces comptent). Sur Word,
l’onglet Outils > Statistiques >
Caractères (espaces compris) vous donne le signage exact du texte que vous
écrivez.
Pour un jeu de rôle, le prix
d’une pige varie entre 20 et 50 € les
10.000 signes. C’est une convention : on utilise en général ces 10.000
signes comme base tarifaire.
Parfois cependant, un éditeur
pourra vous proposer une somme pour un volume de texte préétablie : ça
peut être le cas pour un scénario prenant place dans un recueil notamment. Dans
un tel cas, il vous sera proposé X € les Y.000 signes : à vous faire une
règle de trois pour voir si ce tarif est correct. Par exemple, si un éditeur
vous commande un scénario de 30.000 signes pour 80 € : un rapide calcul
permet de voir que l’on est dans la fourchette avec en gros 27 € les 10.000
signes.
Pour les magazines de jeu de
rôle, la pige est dans la plupart des cas plus élevée. Elle peut alors aller de
50 à 100 € les 10.000 signes.
Cependant, à l’heure où nous écrivons cet article, il n’existe plus en France
qu’un seul magazine de jeu de rôle payant ses rédacteurs : Casus belli.
- Pige jeu de rôle : 20 – 50 € / 10.000 signes
- Pige magazine : 50 – 100 € / 10.000 signes
Les droits d’auteur
Là encore, je vous renvoie à
notre premier article pour voir précisément de quoi on parle.
Les droits d’auteur vous assurent
de toucher un pourcentage du prix auquel est vendu votre ouvrage et ce pour
chaque exemplaire vendu. Plus le livre se vend, plus vous touchez donc. Les
droits d’auteur ne sont pas directement corrélés au volume de votre texte mais
étant donné que celui-ci va influer sur le prix de vente, il y a tout de même
un lien. De même, dans le cas d’un jeu écrit à plusieurs, la répartition du
pourcentage de droits d’auteur se fait le plus souvent au prorata du volume de
texte produit par chacun des auteurs concernés.
Le pourcentage de droits d’auteur
varie entre 7 et 12% du prix du livre.
Attention toutefois, il y a une
astuce importante à connaître. On distingue le prix éditeur – qui est la somme effectivement récupérée par
l’éditeur après vente d’un exemplaire : on doit déduire du prix inscrit
sur la couverture la part prise par la boutique et le distributeur – et le prix public – qui lui correspond
exactement au prix affiché sur la couverture.
Certains éditeurs vous
proposeront un certain pourcentage de droits d’auteur soit sur le prix éditeur,
soit sur le prix public. Faites bien le calcul ! Il peut être plus
intéressant de toucher 7% du prix public que 10% du prix éditeur… De même, s’il
y a plusieurs auteurs ayant écrit le jeu, ce pourcentage doit être divisé entre
eux : dans le cas d’un ouvrage écrit par cinq personnes et payé par
l’éditeur à 12% du prix public, chaque auteur touchera 2,5% – en considérant
qu’ils ont tous écrit une part égale de texte. (sinon, la division peut se
faire au prorata de la participation de chacun)
- Droits d’auteur : 7 – 12% prix éditeur ou prix public
Pour information, voici comment
se compose le prix d’un livre de jeu de rôle :
- Part revenant à la boutique : 40 %
- Part revenant au distributeur : 20 %
- Part revenant à l’éditeur : 40 %
Ces pourcentages sont
approximatifs et peuvent varier selon l’éditeur et le distributeur, voire
simplement d’une gamme à l’autre au sein d’un même éditeur. Le plus simple, si
vous êtes payés selon le prix de vente éditeur, c’est de demander le double du
pourcentage que vous auriez voulu sur le prix de vente public.
Vivre de l’écriture ?
Il
peut être intéressant de ramener les tarifs énoncés dans cet article à une
rémunération mensuelle pour se mettre en situation d’évaluer à combien vous
êtes payé en « équivalent salaire ». Si l’on part sur une production
moyenne de 15.000 signes par jour, on voit notamment qu’à 20 € les 10.000
signes, on obtient un total de 600 € de revenu mensuel – 900 € si on estime que
l’auteur va également travailler tous ses week-ends…
Il faut donc se montrer lucide
sur le montant des piges. Même pour un rédacteur chevronné, il est difficile de
produire plus de 300.000 signes par mois (et c’est déjà beaucoup !). Cela
veut dire qu’à moins de 40 € les 10.000 signes, un auteur travaille pour moins
qu’un SMIC mensuel... Il faut négocier 55 € les 10.000 signes pour obtenir l’équivalent
du salaire médian français.
Et encore ces calculs font-ils
abstraction du temps de relecture et de réécriture. C’est à priori difficile
dans le contexte actuel, mais en réalité, une pige « honnête »
devrait être rémunérée quelque part entre 75 € et 100 € les 10.000 signes.
C’est d’autant plus vrai si un gros travail de conception est demandé (par
exemple : créer un nouveau jeu de rôle ex
nihilo) ou qu’une importante documentation est nécessaire (pour produire un
supplément historique, notamment) – car ce qui est payé, ce sont les signes
finalement tapés, pas le temps de travail préparatoire effectué...
Pour les droits d’auteur, le
calcul est plus complexe car vous continuerez d’empocher de l’argent tant qu’il
y aura du stock. Calculez combien vous toucherez pour chaque exemplaire, et
multipliez par le tirage que vous annonce l’éditeur (et/ou le tirage minimum
indiqué dans votre contrat) pour obtenir votre gain total. Vous ne pouvez pas
parier sur le fait qu’il y aura une réimpression de votre jeu, donc vous pouvez
diviser ce gain total par le nombre d’heures travaillées pour avoir une
estimation de votre « équivalent salaire ». Cela dit, pour être
exact, il faudrait prendre en compte le fait que si des pigistes écrivent des
suppléments pour votre jeu ou que l’éditeur publie un produit dérivé, vous
empocherez de nouveaux droits d’auteur…
Les exceptions
Bien entendu, nous parlons ici de
généralités, de fourchettes et de moyennes. Si dans les trois quarts des cas
vous tomberez dans ces grilles de rémunération, il existe de nombreuses
exceptions – dans un sens ou dans l’autre.
Le bénévolat
Il pourra arriver que vous cédiez
vos textes de façon gratuite. Nous parlons ici toujours de publications
professionnelles – c'est-à-dire qui sont produites pour être vendues au public.
Nous ne sommes pas dans l’optique des projets amateurs destinés à être mis
eux-mêmes à disposition gratuitement (le plus souvent sous une forme
dématérialisée sur internet).
Cela se fait dans plusieurs cas.
Notamment si tous les intervenants du projet sont bénévoles.
- Un magazine de jeu de rôle qui
ne génèrerait pas assez de ventes pour payer ses rédacteurs : si tous les
échelons (du rédacteur en chef au pigiste de base en passant par le maquettiste
et les illustrateurs) sont bénévoles, il est parfaitement acceptable de
travailler bénévolement pour un tel projet. Pour se faire un nom, afin de
supporter le magazine, pour aider le milieu en général… Cependant attention, il
faut s’assurer du sérieux du magazine, être certain que personne dans la
rédaction n’est payé au détriment des autres intervenants, etc. Si les
participants à un magazine changent à chaque numéro du tout au tout, c’est un
bon indice : cela signifie que les choses ne se passent pas si bien en
interne… À l’inverse, un magazine à la rédaction stable dans le temps et
régulièrement rejointe par des noms connus est un gage de sérieux.
- Un magazine de jeu de rôle qui
vous commande un scénario d’un jeu dont vous êtes l’auteur : on peut
considérer que vous assurez la promotion de votre travail, le magazine ne vous
paie alors pas pour le texte mis à disposition – c’est un échange de bons
procédés.
- Un ouvrage produit dans un but
caritatif : si le livre sert une bonne cause et que les droits d’auteur
normalement reversés vont à une association humanitaire, il est parfaitement
honorable d’accepter. D’ailleurs dans ce cas, vous ne travaillez pas réellement
gratuitement : c’est juste que vous reversez vos droits d’auteur à une
tierce personne.
- Etc.
Travailler pour moins
Il est parfois acceptable de
travailler pour des sommes ou pourcentage moindres que ceux évoqués.
- Si vous êtes un jeune auteur
débutant dans le milieu : avide d’être publié, vous acceptez de toucher un
peu moins. C’est envisageable mais risqué : vous baissez de vous-même
votre valeur aux yeux de l’éditeur. Il sera ensuite difficile de demander plus…
De plus, vous faites baisser la valeur de vos confrères également ! Si un
éditeur peut vous avoir pour une somme si basse, pourquoi irait-il payer plus
pour un de vos camarades auteur ? Il y a un risque – si tout le monde
faisait ainsi – de faire baisser la moyenne des rémunérations, et cela n’est
jamais bon pour le milieu…
- Si l’éditeur est modeste et le
projet risqué : afin de minimiser ce risque, l’éditeur peut vous proposer
une rémunération moindre. C’est acceptable, à condition que si le projet
marche, vous soyez par la suite payé normalement – voire un peu plus en cas de
succès avéré. Et pourquoi ne pas instituer par contrat une progressivité des
droits d’auteur suivant des paliers de vente ? Par exemple, toucher 7%
en-dessous de 500 exemplaires vendus, puis 10% entre 500 et 1.000 ventes, etc.
Demander plus !
Et pourquoi pas, après
tout !
Vous avez une réputation, de
l’expérience, vos précédents jeux ont reçu un bon succès critique et public… Il
vous est alors permis de demander une meilleure rémunération à l’éditeur – le
talent et la notoriété se paient, non ?
De la même façon, si vous avez
amené le projet à l’éditeur (par exemple dans le cas d’une licence, d’une
adaptation), que vous le dirigez du début à la fin, que vous en assurez la
promotion en personne, etc. : il semble alors normal que vous soyez mieux
payé car vous assurez d’autres fonctions que celle de simple auteur.
Si vous avez plusieurs années d’expérience
et / ou plusieurs jeux de rôle à votre actif, n’hésitez ainsi pas à demander
1,5 fois les tarifs ici conseillés. Notamment, si vous êtes déjà publié en tant
qu’auteur, les travaux à la pige sont souvent nettement moins
intéressants ; vous pouvez parfois demander le double !
Être remboursé de ses frais
Si
vous courrez les salons et conventions afin d’assurer dédicaces et parties de
démonstration de votre jeu, alors il semble naturel de demander à l’éditeur de
vous rembourser pour les frais occasionnés (trajets, hôtel, nourriture…). Il
est possible que l’éditeur ne vous rembourse pas, mais vous fournisse à la
place des exemplaires de votre jeu à prix réduit – voire gratuit – pour que
vous vous remboursiez en les vendant sur place.
Attention toutefois : tous
les éditeurs ne sont pas prêts à accepter. Entendez-vous bien avec le vôtre sur
ce sujet pour éviter les mauvaises surprises – et si vous décidez de faire
votre promotion ainsi malgré une absence de remboursement, sachez que ce sera
uniquement pour la gloire.